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  • 02.11.2016

    Réversible : pirouettes dans le passé

    • Description

      Publié le 27 octobre 2016 à 18h01 | Mis à jour le 29 octobre 2016 à 09h38

       

      Réversible : pirouettes dans le passé

       

      STEVE BERGERON
      La Tribune
      (Montréal) Les 7 doigts de la main commencent à avoir une sérieuse histoire d'amour avec Sherbrooke. Il y a bien sûr eu ces deux étés, 2012 et 2013, où les spectacles Traces et Séquence 8se sont emparés de la place Nikitotek. D'autres prestations, Patinoire et PSY, sont aussi passées par la salle Maurice-O'Bready. Bref, lorsque la compagnie heptadactyle a eu besoin d'un endroit pour la dernière étape de création de Réversible, sa plus récente oeuvre, elle a songé à la colline universitaire.

       

      « Nous avons cogné à la porte et nous avons demandé : "Pouvons-nous terminer notre spectacle chez vous?" » raconte Gypsy Snider, metteuse en scène de Réversible.

      Les 7 doigts feront donc bien plus que briser la glace les 3 et 4 novembre : la compagnie occupera la SMOB dès lundi pour une résidence de cinq jours, 

      destinée à peaufiner le spectacle, mais aussi recueillir les commentaires du public. Car les créations des 7 doigts, pour ceux qui ne connaissent pas encore leur couleur particulière, débordent largement l'univers circassien. Le théâtre et la chorégraphie y occupent une place presque (voire aussi) importante que les prouesses et les acrobaties.

       

      D'ailleurs, une des premières choses que Gypsy a demandées à ses huit artistes avant le début des répétitions, c'est... d'aller fouiller dans leur généalogie.

      Habitués à ces requêtes d'apparence incongrue, les acrobates ont été beaucoup plus étonnés et touchés par leurs découvertes subséquentes, lesquelles ont inspiré la suite.

      À cause d'une corde à linge

      « Mon propre élément déclencheur, c'est cette journée où je me suis retrouvée seule au chalet familial, dans le Massachusetts, pour une période d'écriture. Ce chalet est dans notre famille depuis 75 ans. Je suspendais des vêtements sur la corde à linge et j'ai alors pris conscience de tous ces fantômes du passé. Il y a, dans cette maison, des quantités de photos représentant des personnes dont j'ignore le nom, mais qui ont vécu des choses tellement plus intenses que nous, comme la guerre. J'ai surtout ressenti deux choses : un incroyable réconfort de savoir cet énorme passé derrière moi, mais aussi le regret de ne plus pouvoir parler à toutes ces personnes, ni les remercier, ni leur dire je t'aime », raconte cette San-Franciscaine d'origine. 

      Gypsy Snider, qui est aussi au nombre des cofondateurs des 7 doigts et codirectrice artistique, est donc revenue de ce séjour en demandant à ses jeunes acrobates de téléphoner à leurs parents, grands-parents, arrière-grands-parents, pour déterrer les histoires enfouies et oubliées. La conceptrice trouvait l'exercice encore plus profitable pour de jeunes artistes de 20 ou 30 ans, qui ont toute leur vie devant eux et n'ont pas conscience de l'importance de leurs racines.

      Leurs découvertes ont parfois été renversantes. Emi Vauthey savait que sa grand-mère japonaise avait immigré en Suisse pour épouser son grand-père, mais pas qu'elle fuyait alors un mariage avec un autre homme auquel elle était promise.

      Natasha Patterson a, pour sa part, appris que ses grands-parents étaient juifs et avaient camouflé leur identité pour survivre à la guerre, créant une aura de secrets et de non-dits dans les relations familiales.

      Quant à Émilie Silliau, élevée dans une famille traditionnellement rigide, elle s'est trouvée une grand-mère qui a été la première femme du village à porter un pantalon, à conduire une moto et à... travailler comme artiste de cirque. « Personne ne lui avait jamais dit! »

      Renverser les choses

      Ces retours en arrière, Gypsy Snider les croit profitables pour tous, mais surtout pour des artistes de la scène.

      « Pour faire ce métier, il faut savoir qui on est et ce qu'on a à dire. Pour ça, il faut regarder vers l'intérieur et se définir par rapport à ses parents. Cette connaissance de soi, à travers le passé, nous aide à mieux agir dans l'avenir. Surtout la génération Y, car la vie va beaucoup plus vite pour elle, et la compréhension des choses n'est plus aussi accessible, parce que tous les quatre mois, elle a un nouveau iPhone. Regarder derrière peut permettre de renverser des choses [d'où le titre du spectacle]. Apprécier son passé, c'est apprendre à s'excuser, à remercier, à dire je t'aime. C'est extrêmement positif. » 

      Dans Réversible, chaque acrobate joue tantôt les émotions suscitées par ses découvertes, tantôt directement l'aïeul qui l'a inspiré, parfois en superposant les deux, souvent dans des scènes du quotidien. Un quotidien que Gypsy Snider a eu l'idée de représenter par des murs amovibles, lesquels lui ont ouvert de nouvelles avenues, tant théâtrales que symboliques.

      « Les murs nous protègent, nous enferment, nous séparent, nous bloquent. Ils ont deux côtés, tels le moi social, la façade que l'on présente aux autres ou sur Facebook, et le moi réel. Les portes et les fenêtres sont des ouvertures sur le changement. Le cirque est un univers d'espace et de liberté, mais moi, avec mes murs, je ferme cet espace. »

      Pour Gypsy Snider, qui est née dans une famille de cirque hors norme et s'est retrouvée en piste dès l'âge de 4 ans, toutes ces interprétations théâtrales sont indissociables du cirque. L'acrobatie pour l'acrobatie n'a jamais été dans sa vision.

      « Mes parents étaient de grands amateurs de théâtre. Cet art m'a donc toujours fascinée. Et si j'aimais les numéros de cirque des amis de mes parents, c'est d'abord parce que je les connaissais et que je savais ce qu'il y avait derrière. Tous les fondateurs des 7 doigts sont, comme moi, d'abord passionnés par l'humain. Nous croyons que le cirque existe pour enrichir l'humanité. Pas pour émerveiller mais pour éveiller. »

      Généalogie révélatrice

      Pour Julien Silliau, qui a grandi sans présence paternelle, se découvrir un grand-père orphelin dès l'âge de 3 ans et qui « est parti de rien, s'est débrouillé seul, a connu la guerre à l'adolescence comme résistant, s'est construit une famille et a vécu 65 ans de mariage », a été un exercice très révélateur.

      « Lorsqu'on met côte à côté une photo de moi et une de mon grand-pêre, on dirait la même personne. Il y aussi des traits de caractères qui reviennent et qui me font me revoir en lui. Pour moi aussi, la famille est quelque chose de très fort. J'ai aussi envie d'en construire une (je suis d'ailleurs marié) », souligne l'acrobate de 30 ans, qui partage la scène avec son épouse Émilie. Tous deux font ensemble un numéro de mâts chinois et un autre où ils reproduisent en partie le couple de ses grands-parents. Elle joue des éventails artistiques, lui fait claquer des fouets.

      « C'est un peu comique. On s'amuse à jouer le vieux couple confortable et un peu ennuyeux, qui soudainement sort les fouets! » rapporte-t-il en riant. « J'ai trouvé l'exercice généalogique très fort. J'ai découvert des choses qui ne sont pas explicites dans le spectacle, mais qui m'ont permis de pousser plus loin certaines facettes de ma personnalité ou du mouvement. »

      Spécialiste de roue allemande depuis dix ans, Julien Silliau avait cette fois le défi de la faire tourner dans un espace qui change constamment et se rétrécit même dangereusement. « C'est une étape de plus pour moi », dit-il en montrant une cicatrice sur la tempe droite. « Ça arrive! Tout comme un retour de fouet dans le dos! »

      Membre des 7 doigts depuis huit ans, l'acrobate a tout de suite été rejoint par leur philosophie artistique. « Tous les êtres humains se cherchent ou essaient de trouver des ancrages. Oui, il faut une virtuosité physique, mais il faut aussi savoir faire abstraction de soi. En ce sens, cette production me touche particulièrement. Tout le monde va s'y reconnaître. »

      Créer avec le public

      Oyez! Oyez! Spectateurs et spectatrices estriens! Ne partez pas trop vite après la tombée du rideau jeudi ou vendredi. Une plage de temps a été réservée pour que l'assistance participe au processus créatif, en livrant ses impressions.

      « Nous allons présenter : je veux savoir ce que les gens ont retenu et ressenti, comment ils ont été touchés. Les 7 doigts de la main évoluent dans un monde de théâtre physique, qui veut évoquer des émotions, mais surtout offrir un miroir. J'ai envie que les spectateurs soient confrontés à qui ils sont et au sens qu'ils donnent à leur vie. Mais il y a des choses que je veux que les gens comprennent, et d'autres, non, je veux seulement qu'ils reçoivent l'émotion, sans savoir pourquoi. »

      Cet exercice rappelle à Gypsy Snider son enfance à San Francisco, lorsque ses parents, bien connectés au milieu artistique, étaient souvent invités aux projections tests des superproductions cinématographiques, notamment la première trilogie de Star Wars. « Nous avions droit à des versions de trois heures et demie, quatre heures! J'ai su que Luke et Leia étaient frère et soeur des mois avant tout le monde! »

      Après Sherbrooke, Réversible amorcera sept semaines de représentations à la Tohu de Montréal, avant de s'envoler en France de janvier à mars.

      Vous voulez y aller

      Réversible

      Les 7 doigts de la main

      Les 3 et 4 novembre, 20 h

      Salle Maurice-O'Bready

      Entrée : 45 $ (étudiants : 35 $)

      http://www.lapresse.ca/la-tribune/arts/201610/27/01-5034990-reversible-pirouettes-dans-le-passe.php